Thomas Hampson : « Les seules superstars à l’opéra sont les compositeurs »
Le baryton américain Thomas Hampson fait ses débuts à La Monnaie dans « Fanny et Alexander », une création adaptée du film éponyme d’Ingmar Bergman.
Thomas Hampson est sans conteste l’un des barytons stars de la scène lyrique internationale. Une grande voix, mais aussi un artiste accessible, passionné et engagé. Dont l’expérience a de quoi impressionner. Ainsi, il a collaboré avec pas moins que Nikolaus Harnoncourt, James Levine, Wolfgang Sawallisch, Riccardo Muti, Claudio Abbado ou encore Leonard Bernstein sur de nombreuses scènes prestigieuses, interprétant aussi bien le répertoire classique (du Mozart, Verdi, Puccini, Wagner…) que des pièces plus rares (Hindemith, Szymanowski…) ou le répertoire contemporain (on l’a récemment vu à Paris dans le Nixon in China de John Adams).
A 69 ans, l’Américain fera ses débuts à La Monnaie ce dimanche dans le
rôle de l’évêque Edvard Vergerus de Fanny et Alexander, création du
compositeur Mikael Karlsson et du librettiste Royce Vavrek d’après le film de Bergman. Un rôle qu’il aborde avec curiosité, sous la baguette d’Ariane Matiakh et dans une mise en scène d’Ivo Van Hove, grand habitué de l’œuvre du réalisateur suédois (avec des adaptations au théâtre de Scènes de la vie conjugale, de Cris et chuchotements et du diptyque Après la répétition / Persona).
Vous avez foulé les scènes les plus prestigieuses à travers le monde et pourtant vous faites « seulement » vos débuts à La Monnaie. Est-ce toujours un moment particulier ?
C’est une question qui a du sens, mais je pense qu’elle vous interpelle plus que moi. En fait, j’aime travailler et, depuis quelque temps, j’ai la chance de faire des projets qui me tiennent à cœur et je reçois plus de propositions que je n’ai de temps. C’est agréable, ça me semble être la définition d’une carrière solide. D’un autre côté, je crois n’avoir jamais refusé de création à l’opéra. Donc, quand on m’en propose une, je suis forcément curieux. Je ne connaissais pas Mikael Karlsson (le compositeur), mais Royce Vavrek signe le livret et c’est un vieil ami, nous avons déjà travaillé ensemble. Puis La Monnaie a la réputation de donner naissance à de nouvelles pièces. Peter de Caluwe est un merveilleux intendant qui s’est montré génial dans sa gestion des créations. Et vous avez un public ouvert à cette nouveauté ainsi qu’à de nouveaux regards sur le répertoire, et au répertoire de manière plus traditionnelle. C’est ce que devrait être une maison d’opéra selon moi. Je suis donc très heureux d’être ici. Je n’ai pas vraiment l’impression de faire mes débuts. J’ai simplement l’impression qu’il s’agit d’un projet fantastique.
Quand avez-vous été contacté pour prendre part à « Fanny et Alexander » et quelle a été votre réaction ?
Il y a environ deux ans et demi et j’étais directement enthousiaste. Nous avons fait un Zoom (vidéoconférence, NDLR) avec Peter, Mikael, Royce et le fils de Bergman. Nous avons évoqué le rôle que je pouvais chanter et j’ai proposé de faire l’évêque. Je n’ai pas subi d’abus physiques mais j’ai grandi dans ce genre d’environnement fondamentaliste (il a été élevé dans l’Eglise adventiste du septième jour, une religion évangélique fondamentaliste, NDLR). Je pense d’ailleurs important de souligner qu’il y a une scène qui sert le propos mais qui est assez violente dans l’opéra.
Avez-vous été inclus dans le processus créatif ?
Pas exactement. Je lisais les textes à mesure qu’ils étaient créés et j’ai eu beaucoup de plaisir à suivre ce processus. Puis il y a les répétitions. C’est l’une des choses les plus excitantes dans la création de nouveaux opéras : le librettiste et le compositeur sont là et peuvent modifier des mots par exemple pour que l’histoire puisse aller là où le metteur en scène veut l’emmener. Même si les mots qui ont été changés sont finalement assez mineurs : un mot plutôt qu’un autre pour coller à la narration. Mikael a aussi dû changer certaines choses structurellement pour des questions de mise en scène et de connexion.
Comment décririez-vous la partition ?
Je dirais que le premier mot qui me vient à l’esprit, c’est complexe. Mais dans le sens où il y a un tas de couches. Il y a la musique occidentale orchestrale et de chromatisme diatonique. Ce n’est pas du tout atonal. Et puis nous avons ces couches de sons électroniques d’accompagnement. C’est une entreprise gigantesque pour la cheffe. Elle est extraordinaire. Je suis très impressionné.
Vous avez travaillé avec un tas de chefs iconiques. Comment est-ce que le chef influence votre interprétation ?
Les répétitions sont vraiment un moment important pour apprendre à se
connaître. J’ai grandi en étant dirigé par de grandes personnalités, de
grands musiciens, comme James Levine, Sawallisch, Abbado, Harnoncourt… Le niveau de discussion devient très intéressant. Ce n’est jamais à sens unique. Mais quand vous interprétez Mozart à trente ans et que vous êtes face à Sawallisch ou Harnoncourt, vous êtes là pour apprendre (rires). Apprendre comment être musicalement dans l’esthétique ou la philosophie de quelqu’un d’autre. Pendant environ quatre ans, j’ai été perpétuellement dans la même saison entre Levine, Muti, Harnoncourt, Sawallisch et, dans une certaine mesure, Abbado. Ce sont des hommes et des musiciens merveilleux. Ils sont fantastiques. Mais ils ont tous des idées très différentes en matière d’articulation, de phrasé, etc. Et c’est un grand défi. C’est comme escalader une montagne sans savoir quel chemin vous allez emprunter. En vous laissant guider par ces sherpas pour trouver la musicalité et la vérité.
Est-ce que certains chefs vous ont marqué plus que d’autres ? Avez-vous appris des choses qui vous ont changé pour toujours ?
Sans aucun doute. Et maintenant que je suis un chanteur expérimenté, plus âgé, mature, il est de ma responsabilité de transmettre ce que j’ai appris grâce à toutes ces personnes – où j’inclus Bernstein. J’ai travaillé avec certains des plus grands musiciens du XXe siècle. Et si toutes ces expériences ne m’ont pas aidé à former mon identité artistique, alors qu’ai-je fait ? Ce n’était pas une servitude sous contrat. C’était une discussion sur comment voir la musique, la décomposer, l’analyser… pour comprendre ce qu’on essaie de dire. Ce que Mozart essaie de dire ? Ce que Verdi essaie de dire ? Quel est le langage musical de ces maîtres ? D’après moi, les seules superstars dans l’opéra ont toujours été les compositeurs. Il est dû à ce qui se trouve sur la partition. Les autres sont là pour servir. Le digérer, le rendre audible.
Mais la mise en scène influence toutefois la manière dont la pièce est reçue. Comment s’est passé le travail avec Ivo Van Hove ?
Dans le monde d’aujourd’hui, le metteur en scène est responsable de la
recréation esthétique ou de la création d’une pièce qui sera vue, écoutée et acceptée aujourd’hui. Parfois, c’est assez mal pensé. Et parfois, la plupart du temps, c’est absolument fantastique. Je ne connaissais pas Ivo Van Hove, mais il a une réputation incroyable. J’étais très impatient de voir comment il abordait cette gigantesque production multimédia car c’est un extraordinaire metteur en scène de théâtre. Il ne lit pas la musique. Mais d’une certaine manière, c’est ce qui a permis à l’histoire de rester forte. Car une grande partie de la partition aborde frontalement les choses, ce n’est pas une sorte de peinture sonore comme ça peut l’être chez Verdi ou Mozart. C’était un environnement difficile, complexe, mais très sain. Et je pense que La Monnaie mérite tout le crédit pour avoir nourri et rendu possible ce projet complexe avec des personnalités artistiques très fortes.